Un petit grain de blé est parfaitement heureux dans son grenier : au
sec, dans un environnement amical dans lequel il se sent bien. On peut
transposer cela au bonheur de l'homme, heureux en famille, heureux dans son
travail, sans soucis aucun. La vie est facile. Il ne faut pas mépriser ce
bonheur-là, mais c'est un petit bonheur en regard de ce que nous devons être
pour l'éternité.
On imagine ce petit grain de blé très pieux : il remercie Dieu pour ce
bonheur et le prie pour que cela dure toujours. Il a raison de remercier Dieu.
Mais attention : il ne faudrait pas que ce grain de blé s'adresse à un Dieu qui
n'existe pas ! Or un Dieu qui ne serait que l'auteur et le garant du petit
bonheur du grain de blé dans un grenier, même si ce bonheur est légitime, ce
Dieu-là n'existe pas.
Un jour, on charge le tas de blé dans une charrette et on sort dans la
campagne. Il fait beau, le ciel est bleu, il y a les arbres et les fleurs, la
nature est en fête. Le grain de blé
remercie encore plus Dieu pour toutes ces belles choses. Il a raison de
le remercier pour toutes ces belles choses qui sont ici-bas. Mais il est
toujours un grain de blé : un Dieu qui maintiendrait un grain de blé dans un
grenier, sans aucune espèce de fécondité, ce Dieu-là n'existe pas.
On arrive sur la terre fraîche. On verse le tas de blé. La terre est humide, la sensation de fraîcheur est agréable. Il est heureux. Mais voilà qu'on enfonce le grain de blé dans la terre. Il ne voit plus rien, n'entend plus rien, l'humidité le pénètre. Le grain de blé, qui par la mort inévitable, est en train de devenir ce qu'il doit être, c'est-à-dire un bel épi, regrette le temps de son grenier. Et il dit ce que se disent des millions de personne : si Dieu existait, de telles choses ne se passeraient pas. C'est dommage car c'est précisément là qu'il s'agit du vrai Dieu. Le seul Dieu qui existe est celui qui nous fait croître, passer d'une condition simplement humaine à une condition d'homme divinisé.
Van Gogh: Champ de blé et cyprès |
Telle est l'histoire de tout homme et de toute femme : il n'y a pas de
croissance sans transformation, de transformation sans mort et sans nouvelle
naissance. Ces transformations se retrouvent dans le mot Pâque, qui signifie
"passage".
(Cette parabole sur l'histoire du grain de blé (reprise par François
Varillon) a été écrite par un auteur danois, Joergensen, qui a pris comme point
de départ les paroles de Jésus que l'on trouve dans St Jean, au chapitre 12,
verset 24).