vendredi 19 juin 2015

Saint Romuald, "l'ermite -prophète"

En ce jour où nous fêtons St Romuald, c'est l'occasion de donner quelques extraits de la première biographie écrite par son disciple Saint Pierre Damien afin de faire connaître un peu l'étrange figure de celui qu'on a pu appeler "le dernier des Pères du désert".

Alors que St Romuald était déjà avancé dans la vie monastique et érémitique, vie érémitique qu'il avait contribué à relever, "il vécut trois années sur le territoire de la ville de Parento. la première année, il construisit un monastère; les deux autres, il vécut en reclus. C'est là que la miséricorde de Dieu le porta au sommet d'une grande perfection, si bien que, animé par l'Esprit de Dieu, il prédit quelques évènements futurs et pénétra des rayons de son intelligence de nombreux mystères de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Il désirait ardemment verser des larmes mais aucun effort ne pouvait l'amener à la componction d'un coeur contrit. Or, voici qu'un jour, alors qu'il psalmodiait en cellule, il tomba sur ce verset du psaume: "Je te donnerai l'intelligence et je t'instruirai sur le chemin que tu dois prendre; je fixerai mes yeux sur toi"(Ps 31,8). Et voici que soudain une si grande abondance de larmes coula de ses yeux et son esprit fut si profondément éclairé pour comprendre les Ecritures, qu'à partir de ce jour et désormais, tant qu'il vécut et quand il voulut, il versait très facilement des flots de larmes et de nombreux mystères lui furent révélés.

 Fréquemment, une contemplation telle de la divinité le ravissait que, tout en larmes, brûlant d'une ardeur d'amour ineffable, il s'écriait: 
"Cher Jésus, O cher,
mon doux miel,
désir ineffable,
douceur des saints,
suavité des anges
",
 et d'autres choses semblables. Sous l'impulsion du Saint-Esprit, il disait cela d'une âme jubilante et nous sommes incapables d'exprimer de tels transports avec nos mots humains. Ainsi que dit l'Apôtre: "Nous ne savons pas prier comme il faut; mais l'Esprit-Saint lui-même prie pour nous en des gémissements ineffables" (Rom 8,26)

Voilà pourquoi Romuald ne voulut jamais célébrer la messe en présence de la foule, car à ce moment-là, il ne pouvait contenir l'abondance de ses larmes. De là vient que, par la suite, Romuald, cet homme à l'âme simple, s'y étant habitué et pensant que cette grâce qui lui était accordée était le fait de tous, disait souvent à ses disciples: "Prenez garde à ne pas trop pleurer, car les larmes fatiguent les yeux et font mal à la tête".

Partout où le saint homme décidait de demeurer, il construisait un oratoire avec un autel à l'intérieur de la cellule; il s'y enfermait et condamnait la porte. (...)


(Plus tard) Romuald se mit à rechercher avec une anxieuse avidité le lieu où il pourrait porter du fruit pour les âmes. Il envoya des émissaires aux comtes de la province de Camerino. Ceux-ci, entendant le nom de Romuald, furent remplis d'une grande joie et lui offrirent aussitôt tout ce qu'il leur était possible en fait de forêts et de montagnes et en fait de champs. Romuald trouva enfin sur leurs propriétés un endroit assez convenable pour la vie érémitique, entouré de toutes parts de monts et de forêts. C'était une assez grande clairière que non seulement on pourrait facilement ensemencer mais qui était irriguée par les eaux de sources abondantes. Ce lieu s'appelait autrefois Val di Castro. (...)

Ils s'établirent donc en ce lieu. Après avoir construit des cellules, l'homme vénérable se mit à y habiter avec ses disciples. Qui pourra écrire ou dire toutes les grâces que le Seigneur accorda aux âmes par son intermédiaire. Car voici que les gens se mirent à affluer de toutes parts pour faire pénitence, distribuant miséricordieusement leurs biens aux pauvres, d'autres abandonnant complètement le monde et se soumettant avec ferveur à la règle monastique. Le très saint homme apparaissait tel un séraphin, car il brûlait incomparablement de la flamme de l'amour divin et enflammait les cœurs par sa sainte prédication partout où il allait. Souvent, pendant qu'il parlait, une si grande componction le faisait fondre en larmes qu'il laissait son sermon inachevé et s'enfuyait soudain comme un fou d'un côté et de l'autre. (...)

Un tel désir de porter du fruit brûlait dans le cœur du saint homme que, jamais content des résultats quand il faisait quelque chose, il se hâtait pour de nouvelles réalisations, si bien qu'il semblait vouloir changer le monde entier en un ermitage et unir la multitude des gens à l'ordre monastique."



Hymne à la gloire des saints camaldules:


Ô suprême béatitude, ô sainte solitude,
Qui pourra proclamer dignement tes louanges ?
Toi, vie, douceur, repos, refuge,
Toi, chemin de la gloire.

Les saints d'hier hantaient les grottes du désert,
Et voici qu'aujourd'hui, les ermites camaldules
S'efforcent de mener la vie bienheureuse
Au sommet des montagnes ou au cœur des forêts.

Chacun habite en rigoureuse solitude,
Mangeant, priant et pleurant ses péchés
Dans sa cellule, nettement séparée
De celle de ses frères.

Sept fois le jour, en silence, ils se rassemblent à l'oratoire
Et tout dévotement célèbrent l’Œuvre de Dieu
Le louant d'un seul cœur
Et la nuit et le jour.

Si l'un d'entre eux aspire à une longue solitude
Et désire goûter une vie de profonde retraite,
Reclus en sa cellule, dans la paix il demeure
Le cœur rivé au ciel.

Fils béni des ducs de Ravenne,
Celui-ci épousa, par grâce, la plus austère des vies.
Célèbre par ses miracles, plus encore par ses mérites
Il triomphe dans le Paradis.

Ils s'emparent de tous les recoins des forêts,
Méprisent les trésors de ce monde éphémère
Et choisissent de plaire à Dieu seul
Dans leurs solitudes.


lundi 1 juin 2015

"Veillez donc et priez en tout temps"


"Veillez donc et priez en tout temps afin d'avoir la force d'échapper à tout ce qui doit arriver et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme" (Lc 21,36).
Saint Luc, le même évangéliste, nous montre Jésus qui "leur disait une parabole sur ce qu'il leur fallait prier sans cesse et ne pas se décourager" (Lc 18,1-8). Prier sans cesse, prier en tout temps, ce conseil pressant, souvent transmis par Saint Paul ( 1 Th 5,15-18; Eph 6,18; Col 4,2...), a frappé nos premiers "pères" dans la foi.
Comment prier sans cesse ? ... si ce n'est en prenant conscience que nous sommes le temple du saint Esprit: "Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l'Esprit de Dieu habite en vous ?" (1Co 3,16) Mais, pour que ce temple de Dieu ne soit pas désaffecté et livré à tous les vents contraires, méditons quelques phrases de cette belle lettre des débuts du Christianisme:

"Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par les coutumes. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres, ils n’emploient pas quelque dialecte extraordinaire, leur genre de vie n’a rien de singulier. Leur doctrine n’a pas été découverte par l’imagination ou par les rêveries d’esprits inquiets; ils ne se font pas, comme tant d’autres, les champions d’une doctrine d’origine humaine.

Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun ; ils se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et le reste de l’existence, tout en manifestant les lois extraordinaires et vraiment paradoxales de leur manière de vivre. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des étrangers domiciliés. Ils s’acquittent de tous leurs devoirs de citoyens, et supportent toutes les charges comme des étrangers. Toute terre étrangère leur est une patrie, et toute patrie leur est une terre étrangère. Ils se marient comme tout le monde, ils ont des enfants, mais ils n’abandonnent pas leurs nouveau-nés. Ils prennent place à une table commune, mais qui n’est pas une table ordinaire.

Ils sont dans la chair, mais ils ne vivent pas selon la chair. Ils passent leur vie sur la terre, mais ils sont citoyens du ciel. Ils obéissent aux lois établies, et leur manière de vivre est plus parfaite que les lois. Ils aiment tout le monde, et tout le monde les persécute. On ne les connaît pas, mais on les condamne ; on les tue et c’est ainsi qu’ils trouvent la vie. Ils sont pauvres et font beaucoup de riches. Ils manquent de tout et ils tout en abondance. On les méprise et, dans ce mépris, ils trouvent leur gloire. On les calomnie, et ils y trouvent leur justification. On les insulte, et ils bénissent. On les outrage, et ils honorent. Alors qu’ils font le bien, on les punit comme des malfaiteurs. Tandis qu’on les châtie, ils se réjouissent comme s’ils naissaient à la vie. Les Juifs leur font la guerre comme à des étrangers, et les Grecs les persécutent ; ceux qui les détestent ne peuvent pas dire la cause de leur hostilité.

En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde. L’âme est répandue dans membres du corps comme les chrétiens dans les cités du monde. L’âme habite dans le corps, et pourtant elle n’appartient pas au corps, comme les chrétiens habitent dans le monde, mais n’appartiennent pas au monde. L’âme invisible est retenue prisonnière dans le corps visible; ainsi les chrétiens : on les voit vivre dans le monde, mais le culte qu’ils rendent à Dieu demeure invisible. La chair déteste l’âme et lui fait la guerre, sans que celle-ci lui ai fait de tort, mais parce qu’elle l’empêche de jouir des plaisirs ; de même que le monde déteste les chrétiens, sans que ceux-ci lui aient fait de tort, mais parce qu’ils s’opposent à ses plaisirs.

L’âme aime cette chair qui la déteste, ainsi que ses membres, comme les chrétiens aiment ceux qui les déteste. L’âme est enfermée dans le corps, mais c’est elle qui maintient le corps; et les chrétiens sont comme détenus dans la prison du monde, mais c’est eux qui maintiennent le monde. L’âme immortelle campe dans une tente mortelle: ainsi les chrétiens campent-ils dans le monde corruptible, en attendant l’incorruptibilité du ciel. L’âme devient meilleure en se mortifiant par la faim et la soif; et les chrétiens, persécutés, se multiplient de jour en jour. Le poste que Dieu leur a fixé est si beau qu’il ne leur est pas permis de le déserter."

De la Lettre à Diognète, nn. 5-6 (Funk, 1, 317-321)

Soeur Anne-Marie